Ommadon – V (2014 – Burning World Records)
Ommadon est un duo de « raw, heavy drone-doom » écossais, composé du guitariste David Tobin et du batteur Ewan MacKenzie. V en est – sans déconner ? – le cinquième album (après I, II, III et IV ; les deux pistes de ce nouvel opus étant sobrement baptisées « V1 » et « V2 », on pourra en conclure, au choix, que le groupe a de la suite dans les idées, ou bien qu’il manque vaguement d’imagination pour ce qui est des titres), et le premier à prendre la forme d’un vinyle (300 copies ; attention au passage : il semblerait que la longueur des morceaux – respectivement de 47 et 40 minutes, là aussi le groupe affiche pour le moins la couleur – ait impliqué de les couper en deux sur ce format…). Toute la discographie du groupe est cependant disponible gratuitement au téléchargement légal (plus précisément en tu-payes-quoi-tu-veux pour ce dernier titre), à l’exception de leur récent split album avec Horse Latitudes et Coltsblood, diffusé en cassette à 150 exemplaires seulement, déjà écoulés.
Toutes ces informations « techniques » s’imposaient sans doute, mais pourraient peut-être donner une vague impression de caricature tant Ommadon se montre radical dans son approche de la musique et de sa commercialisation… On aurait cependant bien tort de s’arrêter à cette image trompeuse, car la musique du groupe, de par sa qualité remarquable, autorise toutes les facéties (encore que l’ambiance poisseuse qu’elle suscite puisse difficilement être qualifiée de facétieuse). À vrai dire, on serait même tenté de le placer d’emblée tout au sommet de la pyramide, en compagnie des légendaires Sunn O))) et de quelques autres, tant la profondeur et la pertinence du son d’Ommadon constitue un brillant témoignage de ce que le drone-doom devrait être idéalement.
Tout y est, en effet : c’est abominablement et admirablement lourd, lent, gras et oppressant, et il se dégage de ces deux longues compositions, qui s’avèrent autrement plus complexes que ce que l’on pourrait croire au premier abord, une certaine majesté hypnotique, une sensation de transe morbide, qu’il n’est certes pas donné à tout le monde de produire. Démonstration éloquente de ce que le drone ne consiste pas simplement à massacrer les cordes les plus graves de sa guitare saturée en attendant que ça se passe, V impose, osons le terme, une vision.
Ommadon, c’est tout d’abord sans doute la justesse du riff, qui, pour être lent et donner à première vue une illusion de simplicité, assez vite cependant balayée par l’immersion de l’auditeur délicieusement épouvanté dans cette merveilleuse atmosphère de nuit impénétrable, n’en recèle pas moins des trésors de variations, comme une invite un peu perverse et intimidante – et pourtant ô combien séduisante – à explorer le champ des possibles du malaise. Vient se superposer à cette base du drone une rythmique maladive, toute en cymbales assassines, interruptions subites et roulements douloureusement lents, qui sait accompagner le riff au mieux tout en prenant régulièrement par surprise la victime consentante de cette symphonie funèbre minimaliste. De discrètes nappes éthérées accompagnent régulièrement le tout (de manière plus marquée sans doute dans « V2 », qui tutoie la perfection), participant elles aussi de cette architecture sonore forcément cyclopéenne, aussi belle (oui) qu’étouffante, et peut-être belle car étouffante.
V est un joyau noir, une démonstration virtuose de ce que ce genre si aride en apparence peut produire de meilleur et de plus juste, et une belle confirmation de ce qu’Ommadon est un groupe à suivre. C’est peu dire.
Bandcamp : http://ommadon.bandcamp.com/album/v