Sila signifie « force » en bulgare : ce titre peut-être trompeur. Non que l’album en manque. Au contraire même. Mais elle se métamorphose le plus souvent dans une lenteur bluesy du delta et des accents mittle-europa. Le sextet de tromboniste invente une nostalgie inédite. Elle prend parfois derrière la mélopée assourdie des accents free-jazz des plus réussis.
Dès lors, vitesse et lenteur offrent un spectacle sonore d’une grammaire jazzistique en suspension. Sila traverse le monde de l’Europe vers l’Amérique en combinant des masses et des vides. L’album crée une proxémie particulière où se retrouve une juste distance entre deux continents musicaux. A la sobriété d’ensemble répond une richesse instrumentale exceptionnelle où, à a fois par condensation et enrichissement, Kornazov refuse le « tape à l’oreille » – équivalent sonore du tape à l’œil.
La réussite est donc au rendez-vous. L’auditeur se laisse emporter dans un espace sonore poétique. L’artiste y parle de lui et du monde. On sent son corps autant que son âme impliqués dans l’acte musical. Bref, un tel album préserve le jazz tout en le renouvelant. La nostalgie s’y fait heureuse au sein d’un voyage au long cours dans la conjonction de la surprise et de l’attente en ses métamorphoses.
Kornazov ressuscite une musique des premières strates d’un monde dual réinvesti par une énergie particulière. Evitant le débraillé, elle reste à la hauteur des ambitions du compositeur et tromboniste et de ceux qui l’accompagnent. Ils prolongent ses confrontations avec l’indicible sans doute parce que le créateur a su parfaitement leur faire partager ses intentions.
Quel silence. Pourquoi ne pas prendre la parole?