Ancienne guitariste, sampliste et backing voice d’Anna Aaron, Emile Zoé sort son premier album. C’est une réussite. En dépit de son titre, Empty est un album qui fait le plein. Dans la lignée de PJ Harvey. la noirceur devient plus abyssale parfois que chez cette dernière. Mais ce qui retient l’attention est aussi la qualité des lyrics. S’y distinguent des séries d’assonances et d’émotions qui n’ont rien d’adolescentes. Revenant aux racines du rock le plus dense l’artiste suisse rappelle par son langage une autre Emily et pas des moindres : la Dickinson. Comme chez la poétesse américaine le langage et la musique s’abîment ici dans leur propre mouvement afin de confronter le vide et le plein. Parfois narratifs, les titres restent avant tout tranchants. Ils traduisent l’ambition d’offrir à la musique rock une nouvelle anatomie où s’insèrent des scissions internes surprenantes. C’est à la foi condant et énergique.
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin?
Le soleil à travers mes paupières, le trop chaud sous la couette, l’envie de faire quelque chose, de rencontrer des gens, de partager, d’écouter, de prendre une photo, d’écrire, de faire de la musique, de bouger, de découvrir.
Que sont devenus vos rêves d’enfant?
Les plus importants sont déjà réalisés : faire des choses que j’aime et être entourée de gens que j’aime. Ceux qui ne le sont pas encore sont toujours présents dans ma tête.
A quoi avez-vous renoncé?
Comprendre dans les moindres détails tout ce qui se passe dans le monde. Voler au milieu d’un anneau de Saturne. Pouvoir voir d’un coup toutes les étoiles du ciel. Être en même temps musicienne, s’occuper d’un bistrot-salle de concert-libraire et faire de l’agriculture qui respecte la nature.
D’où venez-vous?
Je suis née en Suisse, à Lausanne. J’aime ses parcs où l’on peut s’assoir dans l’herbe et regarder le lac. Mais l’endroit géographique précis d’où je viens n’a pas beaucoup d’importance pour moi. Je suis née sur la planète terre.
Qu’avez-vous reçu en dot?
J’ai 21 ans et n’ai aucune envie de mariage. Alors je répondrai que j’ai reçu une énorme richesse dans le partage avec les gens que j’ai rencontré jusqu’ici, une richesse dans la quantité de manières différentes de voir la vie et les choses, dans laquelle je puise chaque jour.
Qu’avez-vous dû «plaquer» pour votre travail?
Un homme que j’ai aimé pour qui il était difficile de comprendre que mon «travail» est ma passion et à quel point elle est importante pour moi.
Un petit plaisir – quotidien ou non?
Me promener pieds nus dans les ruelles d’une ville inconnue et y capturer des détails avec mon appareil photo.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres musiciens?
Ce qui suit me rapproche certainement de plusieurs musiciens: je n’ai presque pas de notions de solfège, je n’aime pas le saxophone, je rêve de savoir bien jouer de la batterie, je me fais des bleus à l’avant-bras droit en jouant de la guitare, je n’aime pas utiliser d’effets sur cet instrument, je casse les mediators avec lesquels je joue ainsi que la table de mes guitares.
Quelle fut la première musique qui esthétiquement vous interpella?
OK Computer de Radiohead car c’est le premier disque à l’écoute duquel des images très précises se sont dessinées dans ma tête. Ces images réapparaissent, intactes, à chaque écoute.
Où composez-vous et comment?
Musique: seule, archi seule, dans une chambre ou un salon, une guitare dans la main, une feuille et un crayon dans l’autre, un enregistreur à côté qui me permet de retenir des idées et de les reprendre plus tard.
Paroles: n’importe où, je note des bouts de phrases sur ma main.
Photographie: n’importe où aussi, le plus souvent en observant des détails, le rond en plastique qui protège l’objectif dans la bouche.
Quel est le livre que vous aimez relire?
Aucun, j’aime que ma mémoire ne garde pas tout d’un livre, et me rappeler plutôt du sentiment que j’ai eu en le lisant. La relecture en ferait un souvenir trop détaillé et enlèverait de sa magie et de son mystère.
Quel film vous fait pleurer?
Ca dépend de l’état d’esprit dans lequel je suis quand je regarde le film. C’est celui qui entre en vibration avec ce que je vis à ce moment-là. Je me souviens aujourd’hui avoir pleuré devant Once de John Carney, Detachment de Tony Caye, Control de Anton Corbijn ou encore Café de Flore de Jean-Marc Vallée. Ma réponse aurait été différente demain!
Quand vous vous regardez dans un miroir que voyez-vous?
Des yeux dont la couleur change en fonction de l’humeur. Je ne vois pas le reste sans mes lunettes, je suis trop myope.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire?
Au travers de ma musique j’ai l’impression d’oser et de pouvoir parler à toutes les personnes à qui j’ai envie d’écrire.
Quelle ville ou lieu a pour vous valeur de mythe?
Le désert américain. C’est une image qui m’accompagne au quotidien.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche?
Ceux qui me touchent dans ce qu’ils font.
Par exemple dans la musique Kurt Cobain pour les tripes qu’il expose, Jack White dans son attachement à ses racines, Elliott Smith dans son discours sans pudeur.
Jean-Pierre Jeunet pour son souci du détail et son envie de tout contrôler dans le cinéma.
Dans l’écriture, Mélanie Richoz pour sa spontanéité et sa simplicité, pareil chez Agota Kristof dont j’aime aussi la noirceur.
Dans la BD, Manu Larcenet pour son attitude punk et sa recherche d’idéal en parallèle.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire?
Des sourires et de l’amour, comme tous les autres jours. Et s’il y a quelque chose de matériel qui me fait envie aujourd’hui c’est un objectif d’appareil photo avec une grande ouverture constante.
Que défendez-vous?
L’expression de ses sentiments, les choses brutes, le végétalisme. La recherche de la beauté et de la perfection dans toutes ses actions. Même si ça peut être des choses violentes ou qui paraissent visuellement moches.
Que vous inspire la phrase de Lacan «L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas»?
Ca me fait trop réfléchir sur quelque chose qui doit être simple avant tout. Alors je ne suis pas inspirée!
Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen: «La réponse est oui mais quelle était la question?»
Oui. Mais c’était quoi la question?
(entretien réalisé par J-P Gavard-Perret le 4 juin 2013)
Quel silence. Pourquoi ne pas prendre la parole?