Gérard Manset – Visage d’un dieu Inca (2011 / L’Arpenteur)

Contrairement à ce qui s’est écrit à l’époque de sa sortie, Bleu pétrole n’est pas – tant s’en faut – le meilleur album d’Alain Bashung. Il ne fait pas le poids face à son chef d’œuvre Fantaisies militaires ou encore – et à un degré moindre – devant Novice ou Passé le Rio Grande. Toutefois, cet album ultime est sauvé par trois titres magistraux : « Vénus », « Je tuerai le pianiste » et « Comme un Lego ». Les trois sont l’oeuvre de Gérard Manset. Les deux irréguliers de la pop-rock made in France ne se sont pourtant rencontrés que très tard : après un vague croisement aux Francofolies de La Rochelle en 1985 où Manset est accrédité en tant que photographe, c’est en 2004 qu’un lien plus fort se crée. Lors de la remise du Prix Vaudeville ils se retrouvent à la même table.

A l’époque, Bashung porte encore une de ses légendaires vestes à franges et une chemise de cow-boy. Pour parachever cette rencontre, en fin de soirée, Bashung jouera sur sa Gibson noire « Gaby » selon des accents éloignés de la version originale. Une amitié ‘solitaire’ était née. Les deux icônes s’échangent leur numéro téléphone. Manset reste en retrait selon son état de nature mais confie plus tard à Bashung les trois titres cités. Les deux artistes se retrouvent dans un studio de Barbès pour évaluer sans emphase le résultat. L’auteur compositeur craint que ces chansons ne soient pas retenues sur l’album mais il n’en dit rien. On connaît le résultat final. Les « jumeaux monozygotes de l’œuf unique d’une poésie inexprimable » comme l’écrit l’auteur en resteront là. Ou presque. Même si ce dernier sera là jusqu’à la disparition de Bashung.

C’est un avantage. Le ‘biographe’ (mais ne serait-il pas à travers Visage d’un dieu inca plutôt un autobiographe ?) ne nous emmerde pas avec des anecdotes qui pourrissent les livres de témoignage. D’ailleurs, ils n’avaient a priori rien pour se rencontrer : Bashung est un ‘fils naturel’ (comme on disait à l’époque) alsacien dont la mère est ouvrière. Manset fréquente les beaux quartiers de la banlieue chic parisienne et fréquente – par exemple – Antoine Gallimard. Le premier ‘rame’ sur scène et s’essaye à bien des genres avant que « Gaby » ne le tire du ruisseau. Il a beaucoup bu et fumé. Trop. (Fumer tue, on le sait mais il faut bien mourir de quelque chose et on en est tous là – du moins beaucoup). Manset pour sa part est plus light. Il ne boit que du Coca du même nom et le rallonge même d’eau plate ! Il refuse de monter sur scène et même de se faire photographier. Il y a mieux pour faire carrière même si son « voyage en solitaire » aurait pu lui ouvrir les portes du Nirvana musical. Mais il n’en a que faire et continue sa traversée d’un demi-désert fidèlement accompagné de fans inconditionnels. Il n’est pas jusqu’à Raphaël (devenu son beau-fils) à devenir fan même s’il semble assez hermétique à la poésie ‘strange’ de son beau-père.

Cette poésie particulière est omniprésente dans ce beau livre. C’est sans doute pourquoi il échappe à toute classification et brouille les définitions des genres. Ni à proprement parler biographique, ni purement récit ce texte est une sorte de soliloque en hommage à l’homme que Manset photographia en 1985 en train de se faire raser, yeux clos, dans ce que l’auteur définit comme une ‘scène à la Sergio Leone‘. Visage d’un dieu Inca est riche du lyrisme particulier – mais qui peut parfois agacer tant il semble superfétatoire – cher à l’auteur. Néanmoins, le charme est là et il opère. Sans doute parce que Manset écrit légèrement et élégamment des lignes lourdes parfois de sous-entendus. Ils n’hésitent jamais quand il le faut à frapper juste et fort et à appeler chat un chat. Voilà un cadeau idéal et pas cher pour la fêtes des pères et afin que vos chères têtes blanches ou chauves ne perdent pas leur repères.

Gérard Manset, Visage d’un Dieu Inca, Editions l’Arpenteur, 120 pages, 12 euros

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