Radiohead – The King of Limbs (2011/XL Recording)
On ne peut faire l’impasse sur un Radiohead. Le groupe est ce qui est arrivé de mieux au rock (on l’appellera ainsi) moderne ou post-moderne depuis ces quinze dernières années. Certes The Kings of Limbs est a priori sans surprises. Intéressant mais sans surprise. Dans la droite ligne de Kid A (sublime) il peut paraître (aux premières écoutes) tel un épiphénomène dans le cursus créatif du groupe menacé – on le sent confusément – d’un nécessaire éclatement.
Certes la tentative solo de Thom Yorke avec The Eraser s’est avérée quelconque. Et il se peut que ce come back soit (partiellement au moins) dicté par ce demi-échec. Il manque toutefois à The King of Limbs ce qui manquait déjà à The Eraser : un ou deux titres vraiment porteurs et significatifs. Certes l’album captive – mais sans doute plus les fans impénitents – j’en suis – que les amateurs plus distanciés (moins impartiaux ? ). Les premiers se plaisent à retrouver un mélange de sauvagerie, de risque mais sur un mode quelque peu mineur. Il y a là bien sûr des morceaux magiques parce que ténus et filés sur le mode d’une grâce vibratile. Entre autre « Codex » nocturne, « Give up The Ghost » radioheadien s’il en est. De même que – mais à un degré moindre – « Morning Mr Magpie ».
Si l’on juge l’album à l’aune du tout venant de la production courante l’album frise des sommets. S’il est estimé à l’aune de la créativité de Yorke et de Hassel il n’y a là rien de vraiment neuf. Même si en fin d’album on renoue avec une force impalpable et (presque) absolue. « Separator » touche à une évanescence surprenante. Elle permet de situer sans conteste le groupe où il se situe : sans doute parmi la dizaine de figures de proue de l’histoire du rock – tous sous-genres confondus.
Et l’on ne parlera ici que de l’album même s’il y aurait beaucoup à dire sur l’innovation du groupe quant à la diffusion et la distribution de son travail. Celui-là – en dépit de son manque de titres populairement phares comme The Bends ou OK Computer en connurent – reste nettement supérieur tant à « Creep » qu’à « Nude ». Radiohead renoue avec l’abstraction qui lui va si bien. The King of Limbs pourra donc se concevoir comme la partie ultime d’une trilogie. Il y rejoindra Kid A et Hail to the Thief. S’y retrouvent boucles et superpositions, variations décalées et un travail particulièrement sophistiqué sur ce que Yorke a hérité de Morton Feldmann à savoir des « durations ». Elles jouent ici sur des formes longuement incisées pour donner au minimalisme une force lyrique. Bref l’album reste dans un registre épuré où les lamenti de Yorke font merveille.
Certes cet album n’a rien (est-ce besoin de le préciser ?) de dance-floor mais il peut provoquer les mêmes émerveillements que les Pink Floyd surent produirent en leur temps en ouvrant une musique potentiellement confidentielle à un large public. L’avantage des Radiohead tient au fait qu’ils ne risquent pas de se perdre dans un lyrisme pompier trop ouvert sur l’extérieur. Le leur est plus en retrait et en distorsion au sein de leur électro abstractive et abrasive. Certes ce penchant possède des limites. Et l’on voit mal où, tel quel, le groupe pourrait désormais aller.
« Separator » est à ce titre emblématique : il indique une voie de sortie, chacun des membres trouvant alors de quoi pousser ses propres investigations. Ils le peuvent sans problème. Et tout compte fait ce qui pourrait arriver de mieux aux Radiohead est ce qui a décimé les Beatles… D’autant que les premiers n’ont même pas le boulet d’un Ringo Starr à traîner. Et la discographie parallèle des gars d’Oxford illustre combien leur potentiel reste immense.