Livre audio : A Cœur Pur, Poésie Rock

JEUX DE MIROIRS

Il est plutôt rare qu’une maison d’édition littéraire s’intéresse au rock. Le Seuil déroge à cette règle et ce à travers un ouvrage publié dans l’une de ses collections de prestige : « Fiction & Cie » fondée par Denis Roche et dirigée par Bernard Comment. Le livre et le Cd sont rares et atypiques. Et les parcours des « intervenants » – le « diseur » (Denis Lavant), le musivien (Serge Teyssot-Gay de Noir Désir) et l’auteur (Attila József) – ne sont en rien anecdotiques. Entre autre celle du poète hongrois. Mort à 32 ans il fut une comète à la Rimbaud. Il ne cessa de crier contre le laideur du monde et la détresse comme dans « Solitude » repris dans ce CD où le poète s’écrie :

« Qui étreins-tu à, présent ? Si tu accouches
Le seul plaisir de ton fils sera de tournoyer
Tu jetteras vers lui un regard,
Cernée d’alligators repus ».

Ce travail à six mains (auxquelles il faut ajouter celles de Kristina Rady, directrice artistique du projet) répond à une approche qui témoigne des affres et des plaisirs du quotidien de toujours, de la force du rock et des figures et images qu’il peut prodiguer et donner en partage dans ses riffs lorsqu’ils sont liés à un poésie violente. Inventive, défricheuse, cette œuvre est guidée par une exigence qui ne se dément jamais. Serge Teyssot-Gay et Attila József ont trouvé – par la grâce d’un acteur d’exception, Denis Lavant – un interprète capable de projeter musique et texte dans le mouvement des corps et des pensées. Rock et poésie inscrivent un mariage unique et leurs propres retrouvailles avec notre temps. Et même si le poète est mort en 1937 son œuvre garde une acuité rare. Elle porte un regard neuf sur notre milieu. La musique tout en restant discrète fait plus que le souligner afin de nous faire comprendre de quoi nous sommes faits et de qui nous sommes les fils.

Rock et poésie redeviennent de manière percutante des signes de reconnaissance et des emblèmes puissants. Tandis que les œuvres personnelles du musicien et du poète cultivent parfois un certain esthétisme, leur approche mutuelle grâce à l’intervention de Denis Lavant offre paradoxalement une plus grande liberté. Ils lâchent la maîtrise. Soudain quelque chose de plus vrai et de plus cru existe. Ce qui se perd en « qualité esthétique » au sens classique d’une supposée grammaire du rock ou de la poésie « classique » est remplacé par une mise en chair d’espaces improbables et surprenants. Ceux-ci laissent une empreinte car Lavant comme Teyssot-Gay ont su trouver de manière instinctive une distance et une proximité agissantes face au textes d’Attila József. Ni le son, ni le texte ni leur métamorphose « corporelle » sont traités en objets mais en sujets. Ils représentent une écume indestructible qui donne une dimension sensible, un espace et un temps propres à l’œuvre poétique. Celle-ci prend par le rock et sa scansion une force pathétique et la vérité d’une nudité de la naissance.

Denis Lavant, Serge Teyssot-Gay, Attila József « A cœur pur, Poésie Rock », Livre et Cd, coll. Fiction et Cie, Le Seuil, Paris.

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