We’re Not Afraid – Adventures in Poverty (2011/World Records)

La plupart du temps, je suis plutôt fier de la façon dont j’aborde et prêche ma conception de la musique. Je cultive cette dichotomie bienveillante d’érudit pédagogue, à la fois esthète à l’ouïe délicate et fervent défenseur de la musique dans ses formes les plus populaires. Je salive abondamment quand, au moment de parler d’un groupe aussi abscons que faire se peut, je prépare la transition qui me verra vanter les talents sous-estimés de Lady Gaga. Mais surtout, je suis particulièrement satisfait de cette position de neutralité qui me permet, illusoirement comme nous le verrons bientôt, de donner un pied d’égalité à tout artiste qui fera son chemin jusqu’à mon casque. Ou l’a déjà fait, il y a bien longtemps, quand j’étais jeune et que je perdais beaucoup moins de temps à intellectualiser la musique. Je préférais simplement l’écouter.

C’est fini, tout ça. L’insouciance. La spontanéité. Même quand je feins d’être solidaire avec l’adolescent boutonneux que j’étais, et que j’évite triomphalement le “qu’est-ce que j’écoutais de la merde quand j’avais 15 ans !” piégeux, je ne jette jamais à mon passé qu’un regard condescendant. J’en veux pour exemple cette façon dégueulasse d’affirmer que le pop-punk, si si, c’est très bien mais bon, le genre a vachement mûri depuis les années 90. Autrement dit, oui, j’écoute plus ou moins le style de musique u’ont joué Green Day, No Use for a Name et NOFX, mais en mieux voyez-vous. Déjà, pour assumer plus facilement, je pouvais dire qu’à l’époque je préférais Jawbreaker et Screeching Weasel, même si ça n’a jamais vraiment été le cas. Maintenant, grâce à la désuétude relative qui s’est abattue sur le genre, je peux vanter sans risque les mérites de groupes suffisamment inconnus pour ne pas être contestés, et affirmer fièrement que leur songwriting est bien plus mature que ce qui se faisait à l’époque.

Seulement voilà, un peu à la manière du trader véreux qu’une ballade en forêt met en présence d’une biche ingénue, il y a toujours un moment où cet être un peu suffisant que je deviens souvent se prend une bonne vieille madeleine dans le pif, le genre qui déclenche un flash-back à grand renfort d’effets floutés.

Adventures in Poverty est de cette trempe. Comment être plus démuni face à un album qui ne fait aucune concession à mon snobisme, du haut de son punk à roulettes vaguement retro ? Non, cet album n’est pas sorti il y a 10 ans. Non, il n’y a pas de concept caché, et les paroles n’ont pas la prétention de le porter ailleurs que la catégorie qu’il occupe vaillamment. Ces saligauds ne m’épargnent même pas leur origine californienne…
Mais nom d’un kickflip, quel panache ! L’écriture est d’une fluidité qu’on avait fini par renier prudemment ; l’adolescence avait dû aiguiser artificiellement notre enthousiasme. Mais LOL. “Back to Life”, “Casual Ties”, “Closed Eye Drive”, la magie est intacte ! On n’y respire pas une seconde, entre un tempo exagéré, une batterie juvénile et des couches d’harmonies vocales honteusement haut perchées. “Hope” se lance sur l’archétypale intro basse à 4 notes pour déboucher sur des choeurs miraculeux. La double ligne vocale du pré-refrain de “One Man Economy” est si parfaitement pop qu’on s’étonnerait presque qu’elle ne soit pas auto-tunée. ”Live it your way” nous fait même le cadeau d’un interlude gentiment hardcore. Flawless, comme disent les ricains.

J’en mate mon futal avec dégout, en me demandant quand j’ai commencé à le porter au-dessus de la taille. J’ai même un peu la nausée en me rendant compte que mes parents ne me cassent plus les c*** pour que j’aille chez le coiffeur. Pire, que s’ils le faisaient, je ne les traiterais probablement pas de vieux cons. L’horreur. Mais heureusement, j’ai mon petit miracle, mon voyage dans le temps low-cost, une bande d’excités californiens cryogénisés pendant 15 ans qui me ramènent à la vie. Back to Life !