Interview de Pieter Nooten
Essentiellement connu pour avoir été le claviériste du groupe culte de la new-wave, Clan of Xymox, Pieter Nooten a également participé au prestigieux projet This Mortal Coil avant de signer le superbe Sleeps With The Fishes en collaboration avec personne d’autre que le canadien Michael Brook (créateur de l’infinite guitar dont l’utilisation a été popularisée par U2, également compositeur et producteur, ayant travaillé sur de nombreux albums et célèbres BO de films). En bref, Pieter Nooten n’est pas n’importe qui ! Mais après cette période faste au sein de la new-wave et du label cultissime 4AD (qui outre le projet This Mortal Coil n’est rien de moins que celui qui révèla les Pixies, Dead can Dance, Cocteau Twins, Bauhaus… Ou plus récemment des groupes comme TV on the Radio ou Beirut), Pieter Nooten s’est tenu un bon moment en marge de l’industrie de la musique avant de nous revenir en 2010 avec un nouvel album solo, le fascinant : Here is Why.
Toujours marqué par une certaine mélancolie distillée au coeur de sonorités fragiles et transparentes qui naviguent dans l’esprit de l’auditeur tantôt comme des souffles d’air, tantôt comme des courants d’eau claire, Here is Why se démarque totalement des premières inspirations new-wave de son auteur pour partir naviguer vers des mers plus paisibles, plus proches de l’ambient.
Alors que Ronny Moorings s’obstine à essayer de garder en vie les fantômes du passé quitte à s’engouffrer dans une dark-wave un peu gluante qui fait pâle figure comparée aux débuts de Clan of Xymox et à ses quelques soubresauts de la fin des années 90, Pieter Nooten a volontairement choisi une voie plus authentique, évoluant désormais dans de nouvelles sphères musicales mais toujours aussi captivantes et énigmatiques qu’au temps de Medusa ou Sleeps With the Fishes, cette fois chez le label indépendant anglais Rocket Girl. Et pour les blasés, lassés des productions actuelles de Clan of Xymox, qui songent, nostalgiques, aux temps bénis des premiers albums, c’est l’occasion de retrouver un peu de l’émotion de cette époque grâce à cet album présenté dans un beau digipack dont le design ne peut qu’évoquer le style 4AD !
Et comme chez les Immortels, on fait pas les choses à moitié, on s’est entretenus avec Pieter Nooten qui se confie sur la création de cet album et son approche actuelle de la musique !
‘Here is Why’ est ton nouvel album. Quand as-tu commencé à travailler dessus ?
J’ai commencé à travailler sur Here is Why il y a environ trois ans, lorsque j’ai changé mon vieil ordi pour un Mac book pro avec OSX et Logic Audio installé. J’ai découvert tout un studio virtuel !
Je pense que la plupart des gens te connaissent en tant que le claviériste des débuts de Clan of Xymox mais aussi pour ta participation au projet This Mortal Coil ainsi que l’album ‘Sleeps With the Fishes’ en collaboration avec Michael Brook… Tous ont vu le jour sous le label 4AD et je trouve que même l’artwork de ‘Here is Why’ rappelle le style 4AD mais c’est finalement une sortie chez Rocket Girl. Pourquoi as-tu choisi de changer ?
Ce n’était pas un choix en vérité. Tout cela remonte à plus de 20 ans en arrière et depuis 4AD et son catalogue ont été revendus à une major de l’industrie commerciale du disque (NDLR: en 1999, Ivo Watts Russel, fondateur du label 4AD et instigateur du projet This Mortal Coil revend effectivement ses parts et quitte le navire). Toutes les personnes que j’ai connues à 4AD en sont parties depuis bien longtemps et j’ai été vraiment très, très heureux de pouvoir sortir Here is Why chez Rocket Girl (www.rocketgirl.co.uk) car je trouve leur approche intelligente, recherchée et constante au niveau du style.
On ne pourrait plus vraiment ranger ‘Here is Why’ dans une catégorie comme ‘new-wave’ ou quelque chose du genre… Je le vois plus comme une oeuvre d’ambient avec parfois peut-être une légère touche nu-jazz. Comment décrirais-tu ta musique ?
Bonne question, Vivien. Et toujours la plus difficile qui soit pour y répondre ! Pour être honnête, j’ai fait le choix conscient de ne pas être influencé par quelque artiste ou genre que ce soit. Je voulais me sentir le plus pur possible. C’était juste moi, avec ces fantastiques possibilités et opportunités que les nouvelles techniques de composition et de production offrent ! Si c’est de l’ambient, j’espère en tout cas qu’en ce domaine, c’est quelque chose d’authentique. Si il y a des influences nu-jazz, alors je veux bien. En fait, je ne sais pas à quoi ces deux styles sont censés ressembler.
Vois-tu tes travaux actuels comme une continuité de ta première période ou est-ce quelque chose de totalement différent pour toi ?
C’est simplement la musique que j’ai envie d’entendre. Je n’ai jamais vraiment changé. J’ai beaucoup expérimenté de choses mais je finissais toujours par revenir à ce style particulier. La seule chose qui a changé est mon âge ! Mais tu as raison: cette musique est une continuité de mes débuts.
Peux-tu nous parler de ce que tu as fait depuis ton départ de Clan of Xymox et la réalisation de ‘Sleeps With the Fishes’ ?
Eh bien, j’ai fait pas mal de trucs et je suppose que le temps n’a fait que passer. Je n’ai pas été très impliqué dans l’industrie du disque pendant des années, mais je pense qu’au bout d’un moment, la nécessité de créer devient trop forte. Je suis vraiment quelqu’un de très malheureux lorsque je ne peux pas être dans la création et la production de musique.
Quel est le processus d’écriture de ta musique ?
Encore une question à laquelle il est difficile de répondre. J’ai un trouble du déficit de l’attention/hyperactivité et je suis donc totalement incapable de rester tranquille pendant très longtemps. Ce que je fais en général est de mettre à plat une structure d’accords, très rapidement, de marcher dans la maison, me rasseoir et appliquer des changements alternatifs d’harmonies et des ajouts. Je me relève, je marche en rond, me rassois et j’essaie de finaliser la structure harmonique générale du morceau jusqu’à 3 ou 4 minutes. Ensuite, devine quoi : je saute à nouveau hors du fauteuil, je tourne dans la pièce en fredonnant la mélodie, je me rassieds et j’essaie d’ajouter des choses. Ca peut sembler comique mais c’est vraiment comme ça que ça se passe ! Les gens ne peuvent pas supporter de travailler avec moi car je suis toujours en train de bouger dans tous les sens ! C’est un drôle de contraste avec le côté paisible et délicat de ma musique.
Où puises-tu ton inspiration ?
Pour être parfaitement honnête, je n’écoute pas beaucoup de pop. Des fois, ça m’arrive de me balader sur Youtube ou Myspace et de découvrir des trucs absolument géniaux comme Anthony and the Johnsons ou Sigur Ros… J’imagine qu’il y a des tas de bonne musique mais une grande partie se perd dans l’excès de quantité ou pire, dans les relations publiques et la violence de campagnes marketing agressives qui tentent à tout prix de nous vendre de la merde. Et le pire, c’est qu’ils s’en sortent bien !
Parfois, ça m’arrive de considérer la pop comme une forme d’art morte, qui a connu son apogée dans les années 60 et 70, comme la peinture et la sculpture à la Renaissance. J’espère bien me tromper mais en attendant, je puise surtout mon inspiration dans de la musique totalement oubliée comme le baroque du 18ème siècle ou encore l’avant-garde électronique ou le classique contemporain.
Sur cet album, tu as travaillé avec plusieurs collaborateurs, en particulier pour les paroles et les parties de chant… Comment as-tu choisi les personnes qui allaient participer ?
Tout simplement, en faisant leur connaissance sur Myspace ces dernières années, au moment où Myspace débordait encore d’activité. Je les ai contactés comme Renee Stahl et Susan Bauszat car j’adorais leurs voix ! En ce qui me concerne, je ne suis vraiment pas un bon chanteur !
Au sujet des personnes qui ont participé à l’album, tu cites également dans les remerciements ton ex-collègue de Clan of Xymox, Anka Wolbert. As-tu continué à travailler avec elle ? A-t-elle pris part à la création de cet album ?
Anka est une très bonne amie. J’ai collaboré avec elle sur d’autres projets, comme le fabuleux premier album de Sophie Zeyl : Another Way of Running. Nous l’avons sorti sur le label d’Anka, I-Rain (www.i-rain.com). Sur ce nouveau label, nous avons aussi sorti l’album solo d’Anka, Cocoon Time, sur lequel j’ai également travaillé. Il y a aussi eu un album appelé Ourspace constitué de démos et de trucs que j’avais laissés de côté et auquel Anka a participé.
Clan of Xymox en 1985 : Pieter Nooten (en noir) et Anka Wolbert.
Peux-tu nous parler de tes prestations live ?
Ce sera calme, intimiste, simple et beau ! Je travaille actuellement avec Miryam Chachmany (http://vimeo.com/mcprodvideo) sur des vidéos d’arrière-plan. Ses créations visuelles s’assemblent remarquablement avec ma musique. Je proposerai des concerts avec diverses configurations différentes : en solo avec le clavier, l’ordinateur et en faisant les voix, le tout avec les vidéos projetées en fond, également avec Miryam qui mixera ses images en direct, ou encore avec la chanteuse Yvette Winkler et/ou le joueur de violoncelle Lucas Stam. Je voudrais pouvoir être en mesure de proposer des concerts avec toutes ces différentes combinaisons possibles, ce qui veut dire au préalable, un énorme travail de pré-production. Je n’ai pas encore commencé à faire de la promo et à chercher des agents, mais ça ne va vraiment pas tarder.
Maintenant, quels sont tes autres projets à venir ?
Je voudrais vraiment pouvoir donner ces concerts. Pouvoir me mettre en relation avec mon public, avoir les retours dont je pense avoir besoin car j’ai maintenant bientôt 50 ans ! Je pense simplement que ce serait merveilleux : créer une atmosphère paisible et esthétique dans de petites salles confortables à travers le monde ! De plus, j’espère pouvoir bientôt sortir de nouvelles compositions, de manière plus traditionnelle, bien que le marché du disque se soit cassé la gueule, ainsi que de travailler sur des créations audiovisuelles… Peut-être même écrire de la musique pour des films ou des documentaires. J’adorerais pouvoir faire ça !
Pieter, un grand merci pour cette interview !
C’est un plaisir, merci à toi aussi. Chaleureuses salutations d’Amsterdam !
Discographie sélective:
2006 – Ourspace [album]
2008 – Collected [best-of]
2010 – Here is Why [album]
Avec Clan of Xymox :
1985 – Clan of Xymox [album]
1986 – Medusa [album]
1989 – Twist of Shadows [album]
1991 – Phoenix [album]
Avec This Mortal Coil :
1991 – Blood [album] – un titre, “Several Times”
Avec Michael Brook :
1996 – Sleeps With the Fishes