Juja Lula – Juja Lula (2010 / Autoproduit)
J’ai connu par hasard Juja Lula il y a quelques années. C’était pour la sortie de leur album Les Filles chantantes dont le titre lui-même n’avait rien de racoleur (c’est un euphémisme…). Il appelait plus au patronage qu’au lève le cœur. Non sans quelques réserves et résistance a priori, je suis donc allé voir le duo même si la musique « de cabaret » n’est pas forcément ma tasse de thé. La goualante non plus. Mais je me suis dit qu’il n’y a que les imbéciles qui ne peuvent pas changer d’avis. Grand bien m’en a pris.
On était loin des chanteuses faussement acidulées à la Ruiz ou à la Zaz (clône de Zazie). Bref de celles qui savent séduire (marketing aidant) de manière simpliste en caressant le public dans le sens du crin. Toutes n’estiment avoir à faire qu’à de vieux chevaux de retour capables de s’exciter par des Lolita de l’éphémère. Ajoutons aussi que lorsqu’on n’aime pas a priori un genre – la chanson française à texte suscite souvent en moi la sinistrose – la surprise ne fut que plus agréable.
Juja Lula – à savoir les sœurs Taffin (Juliette et Lucie) – ont toutes deux une quinzaine d’années de pratique instrumentale derrière elles. Cela se sent. Elles possèdent une technique musicale mais aussi une solide assise scénique. Elles aiment les planches sauf celles dont on fait les cercueils. Pour autant elles ne se prennent pas le chou et donc nous le prennent pas.
Bref sur scène comme sur ce dernier EP 3 titres enregistré début 2010 ça dépote. Les textes qu’elles aiment et chantent sont d’Olivier Taffin, transfuge de la bande dessinée. Et on sent que leurs premières armes au théâtre font d’elles des comédiennes autant que des musiciennes. Rappelons d’ailleurs qu’avant de devenir Juja Lula, les sœurs ont joué dans trois pièces musicales. Pour la dernière d’entre elles (Luna derrière les nuages), Lucie composa l’ensemble des musiques, et sur leur lancée en 2003, âgées de 17 et 19 ans, elles enregistrent leur premier album, Les Filles chantantes.
Mais depuis leur travail a beaucoup évolué. Nées pour la scène et la musique vivante elles en connaissent les exigences et ne laissent rien au hasard. Sur le plan scénographique, elles font appel à Gilbert Laffaille et pour le répertoire de leur deuxième album, Chanson ou pas (2006), leur éventail musicale s’étoffe. Les Juja Lula ne se limitent plus à un registre de chansons farcesques ou anecdotiques.
Prenant tout le temps nécessaire à la réalisation de leur spectacle et de leurs albums, les sœurs font preuve d’une exigence rare. Cela est particulièrement nécessaire à ces deux funambules dont le fil est tendu entre l’irrespect, le cocasse, le chaotique d’un côté et l’exigence à la fois musicale, instrumentale et textuelle de l’autre. Mais les deux artistes ont le moyen d’accomplir bien des figures car elles possèdent une personnalité rare et une énergie qu’elles communiquent autant à leurs musiciens complices (percussions, contrebasse) qu’au public.
Il y a donc chez elles un côté Les Bonnes de Genet. Mais la cruauté en moins. Cela permet de comprendre que l’ambition de duo reste à la hauteur d’une potentialité qui se sent tant en live que sur CD. Entre innocence et insolence, entre larmes et sourire le duo surprend par sa justesse et sa maturité. Le côté encore ‘en gestation’ de leur premier album est bien loin. Elles osent plus, se permettre un décrochage qui n’a rien d’un laisser-aller.
Lorsqu’on possède une telle assise on peut explorer des domaines encore plus ambitieux. D’autres se le permettent sans avoir les capacités de Juja Lula. Mais on attend avec impatience l’opus complet dont cette parution est la pierre d’achoppement.
Seule réserve (pour les habitués des Immortels et en particulier de son noyau originaire) : le CD n’est pas à conseiller aux métalleux et aux indus purs et durs. Ou disons qu’ils peuvent s’y hasarder dans un grand écart de conduite. Certes c’est en sortant des moules que de nouveaux espaces se libèrent et que les sœurs Taffin peuvent devenir d’étranges sirènes, mais que les amateurs ne soient pas pris en traitres.
Transfuge est un nom commun masculin…
C’est celui qui, à la guerre, abandonne les troupes dont il fait partie pour passer à l’ennemi…
Au figuré : Quiconque abandonne son parti pour passer au parti contraire…
Bonjour Jean Paul,
Je relisais cet article sympathique de juillet sur les sœur Taffin et je retrouvais ce mot, dont je m’étais moi-même affublé sans en connaître aussi justement le sens.
Je n’ai pas trahi la BD… c’est elle, la chienne qui s’est « transfugée » toute seule.
Du coup, moi, je baguenaude.
Baguenauder est un verbe du premier groupe.
C’est s’amuser à des choses vaines et frivoles comme les enfants qui font claquer les baguenaudes en les crevant.
(C’est ici que je retrouve Jean Genet.)
Pour la petite histoire, voici un blauguenote qui dura 2 ans et qui explique presque tout.
http://olivier.taffin.net/
Amitiés
Olivier