Erykah Badu – New Amerykah Part Two : Return to the Ankh (2010 / Motown)
Deux ans après la Part One de New Amerykah, la diva black et texane sort avec un parfum de scandale la seconde partie : Return to the Ankh. Le groovy s’y radicalise. Le jazz y est moins smooth, même si c’est toujours là qu’il faut chercher les racines de l’artiste. Retournant à la « nu soul », les titres sont plus sophistiqués et presque plus abstraits que dans le premier épisode. Bref, on est bien loin de la RnB standard ou de ce qu’il en reste puisque le public finit (ou commence) par s’en lasser. Peu importe : Erykah Badu se situe aux antipodes, même si côté image elle sait aussi faire et voire bien mieux que les poupées gonflables de la RnB. Le clip du premier single de Return, “Window seat“, a créé scandale, mais pas seulement pour de pures raisons érotiques. On y voit la chanteuse reprenant à pied une partie du trajet sur lequel J.F. Kennedy fut assassiné. Le tout en un strip-tease pédestre. C’est un pied de nez au politiquement correct dont la version USA est encore plus musclée que chez nous. C’est peu dire que les autorités texanes et fédérales n’ont que modérément apprécié ce pèlerinage intempestif.
Laissons là l’anecdote, même si elle est significative. L’artiste possède le don de faire passer comme une lettre à la poste son engagement. Son côté cool risque même de faire rater tout le foisonnement d’idées et de recherches de l’opus. Il faut l’écouter plusieurs fois pour en apprécier les épisodes lents comme l’éloquence rythmique des titres plus nerveux. Car le Cd est aussi malicieux, énergique que sensible et raffiné. Sensuelle à souhait, Erykah Badu domine son sujet et représente aujourd’hui une des artistes les plus intéressantes de son pays. Tous ses titres demeurent bourrés d’émotion, de désir et de chaleur. Ils sont chargés de miasmes mais ils coulent, s’insinuent, s’installent sans qu’on y prenne garde. Parfois, l’amour a déserté la musique et ses lyrics l’ignorent ; à l’inverse, parfois, ils témoignent de sa vie et de ses orgasmes. Et celle qui, dit-elle, a « appris à douter fortement de la pureté des intentions d’un homme qui porte des gants » n’hésite pas ,quand bon lui semble, à se salir les mains afin de laisser les preuves d’un tel manque de respect envers les femmes.
Une nouvelle fois, l’artiste refuse de composer simplement du bout des doigts et de chanter du bout des lèvres. Pour qu’un titre soit réussi il faut que dans sa tête une explosion retentisse. Le voyage de la musique prend alors son départ et ses formes s’esquissent. Parfois – comme pour ce Return to the Ankh – il faut des mois, voire des années d’incubation afin que les plaines de l’extase s’étendent à perdre haleine sur le papier à musique. Créer est donc bien un acte d’amour, un hymen particulier. Erykah Badu s’y noie, elle s’y sauve. Elle ramène à une musique aussi sophistiquée que foncière dont le but dit l’artiste est « celui de rencontrer des êtres en recherche de compréhension d’eux-mêmes et des autres ».
L’attraction que produit Return to the Ankh en ses divers styles d’apparitions est donc des plus conséquentes. Fait de troubles et de nuances, l’opus ressuscite à partir de ses racines jazzistiques un feu délicieux de couleurs musicales en variations. La vie est là. Elle se refait une beauté sonore. La séduction a lieu. On n’est ni dans le rythme à tout prix ni dans la bluette pour soirées au KFC. Des soupirs ou à l’inverse des montées chromatiques surgissent quand on ne les attend pas, et semblent venir d’un endroit où s’enchevêtrent les engrenages du monde. En ce lieu le bruit est assourdissant et l’obscurité implacable. Mais l’artiste lui donne une tonalité particulière dans un éventail d’émotions : elle le développe avec sa propre rugosité et ses contractions.
Nous pouvons alors ôter nos propres gants face à ce qui se découvre sous forme de défi musical. En surgit au sommet la voix particulière d’Erykah Badu. Semblant provenir de loin elle est conductrice autant de grave et d’aigu que de couleurs ou de blanc et noir (mais le noir et le blanc sont aussi des couleurs). Chaque titre se répand sur les existences. Même celles des désabusé(e)s. La musique arpente une nuit d’encre chaude. S’y découvrent d’étranges poupées humaines auxquelles on a fait subir des violences. Mais le plus souvent émergent des accentuations d’espérance afin que le glas des amours soit dépassé.